Partie 8 : Créateur
Mon cœur battait la chamade. Tout était prêt. Tout était en place. Tout était exactement à la bonne place. « Mourir, encore, encore et encore » : tel aurait du être le destin du Phoenix. Mais ce cycle infernal fut ce qui m’avait permis de sortir de mon malheur. En effet, le savoir est éternel : l’humain, lui, ne l’était pas. Au final, ce projet de destruction avait été le meilleur rendement de mon existence : quelques milliers d’années d’attente, de patience pour en supprimer des milliards de malheur. Après tous les sacrifices que j’avais fait pour me sortir de cette misère, il était enfin temps d’y mettre fin ! Une simple pression sur le bouton rouge et…
Il ne faisait ni chaud, ni froid. À vrai dire, je ne ressentais rien : aucune haine, aucun amour. Comme si l’explosion ayant annihilé ma planète avait soufflé au loin toutes ses émotions. Comme si je revenais au point de départ…
— Pitié, tout sauf ça…
— La pitié n’est pas le propre du divin ; sinon, toute âme serait sur un pied d’égalité. Et cela n’est pas le but.
Je reconnus immédiatement l’essence divine de Créateur. De quel but parlait-il ? Pourquoi se manifestait-il maintenant que mon univers s’était effondré sur lui-même ? Pire encore me vint à l’esprit : j’existais encore.
— Je te rassure ; tu n’es pas de retour au point de départ. La boucle est bouclée, mais un nouveau tour se prépare maintenant pour toi.
— Comment ça, un nouveau tour ? Que deviens-je dans tout cela ? Une entité supérieure ? Je deviens…vous ?
— Pas exactement… En revanche, cela est ce que nous sommes à nos enfants : une entité supérieure. Nous désirons tous faire le Bien. Nous avons juste notre vision du Bien. Et de par cette prise de position, nous nous devons de n’être que cette entité supérieure pour nos enfants, d’autant plus de par notre statut divin ? Ainsi, nous ne sommes qu’un rappel à l’ordre pour nos enfants : cela est à eux de forger leur vie et de devoir faire des choix, tout comme tu as eu le choix de les engendrer… tout comme j’ai eu le choix aussi.
— Des enfants, vous ?
— Bien évidemment ! Nous sommes l’essence-même de la vie. Nous en sommes les gardiens. Mais comment pouvons nous chérir la vie si elle nous reste qu’une notion et non une expérience ? Il existe encore des entités supérieurs à nous, cependant nous sommes les acteurs. Nous nous devons de respecter notre rôle, même lorsque celui-ci nous semble injuste et incertain.
— Cela signifie donc que mes enfants sont voués au même destin que celui de mon rôle de Phoenix ?
— Oui, tout comme cela fut le mien.
— Je ne serai jamais comme vous. Mes enfants sont les seules choses qui me restent dorénavant. Je désire les retrouver, les suivre dans leur évolution et les informer du rôle de Phoenix. Je serai toujours présent pour eux
— Combien d’enfants as-tu ? Peux-tu me dire le nombre exact d’âmes qui sont issues de tes nombreux engendrements ? D’autant plus, combien en as-tu aimé ?
Un silence marqua un tournant dans l’énergie de Créateur. Lui qui se voulait bien-vaillant allait devoir devenir réaliste, même si la réalité était cruelle à conceptualiser.
— Cela est bien ce que je pensais : il semblerait que tu n’en connais pas la réponse. Alors laisse moi te prévenir d’une dernière chose : ton temps t’est désormais compté. L’immortalité t’avait été offerte en échange d’une simple mission.
— Simple ? Pour moi, supporter une éternité n’est pas une chose simple ou facile. De plus, je n’avais rien demandé : si vous aviez suivi à la lettre votre mission également, cela m’aurait évité toute cette souffrance éternelle.
— S’il existait réellement un Phoenix qui avait suivi sa mission comme prévu, nous ne serions sûrement même pas en train de discuter. Cependant, je le rappelle, cela n’est jamais arrivé. Alors je te prie de bien vouloir accepter tes fautes et de garder les morales que tu souhaites me faire : car s’il existe bien quelqu’un qui a fauté également, c’est toi. Ta mission était de protéger ta planète afin de délivrer la prophétie de ce monde. Pire, à l’inverse, tu as déserté ta planète et tu l’as détruite. Pourtant, te voilà face à moi. Enfin… quoique tu aies pu faire, un nouveau destin t’attend : tes enfants seront envoyés sur certains planètes citées par les différentes prophéties. Tu as échoué en tant que Phoenix ; n’échoue pas en tant que Créateur.
Les paroles d’Augure me revinrent à l’esprit. « Merci, Créateur. » Qu’avait bien pu voir mon enfant ? Je m’en voulais de l’avoir coupé, de ne pas l’avoir cru jusqu’à ce qu’iel eusse disparu·e. Cette fois-ci, j’étais plus puissant, plus omniscient que jamais. Mais je sentais en moi ce lien m’emprisonnant à l’Ether. Je n’étais plus un Phoenix. J’en avais perdu les privilèges ; plus de forme physique, plus d’interaction avec les diverses populations humaines comme j’avais pu développer sur ma planète. Je croyais être seul quand j’étais un Phoenix… la solitude était un euphémisme en comparaison de mon nouveau destin esseulé. Il me fallait un nouveau plan, un moyen de m’extirper de ce mauvais pas, d’enfin pouvoir en finir. Si j’avais mis des milliards d’années avant de pouvoir me libérer de mon rôle de Phoenix, je trouverais une solution rapidement cette fois-ci. J’avais accès à un consensus interminable : comme promis par Créateur, le savoir était à ma portée. Et dans tout ce qu’il pouvait exister, il n’y avait aucune faille au rôle de Créateur.
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